Comment la télé flingue le soja

Hervé Berbille est l’un des meilleurs spécialistes français du soja. Invité à participer au reportage que le magazine M6 consacrait le 1er mai au soja, il a finalement refusé de s’exprimer lorsqu’il a constaté que le dossier était instruit à charge. Auteur d’un livre-révélations à paraître sur le sujet, il dénonce dans le point de vue qui suit le traitement sensationnaliste que les médias grand public réservent au soja depuis une décennie, selon lui sans argument scientifique valable.

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« Pourquoi je n’ai pas participé à l’émission de M6
Le journaliste de M6 souhaitait uniquement me filmer en train de pousser un caddy de supermarché débordant « d’aliments contenant du soja » ; « l’invasion », encore et toujours. En revanche, pas question que je m’exprime, à propos du rapport Afssa/Afssaps par exemple. Dans ces conditions, j’ai préféré ne pas me prêter à ces pitreries. Comment expliquer que beaucoup de médias généralistes et de journalistes privilégient les effets d’annonce caricaturaux plutôt que de rendre compte de la réalité des données scientifiques ? La recherche d’audience ? La pression des annonceurs ? Quoiqu’il en soit, ils préfèrent souvent l’exotisme racoleur d’une soi-disant « fillette australienne » prétendument devenue prématurément pubère parce qu’elle aurait consommé du soja, à l’austère contenu des publications scientifiques . Malheureusement pour le soja, recherche du sensationnalisme et recherche scientifique font rarement bon ménage. »

Economie du soja : ne pas confondre celui qui est destiné aux animaux et celui destiné à l’alimentation humaine.
Le journaliste de M6 voulait me faire dire à toute force « qu’il y a du soja partout », ce qui restera invariablement son angle d’attaque au fil de nos entretiens et quasiment pendant tout son reportage. Je lui réponds qu’effectivement, « il y a du soja partout », mais pas là où il croit. Je m’explique : 90% des protéines de soja produit dans le monde sont destinées à l’alimentation du bétail, une véritable rente pour les industriels du soja étasuniens et brésiliens qui dominent ce marché. Ce soja « alimentation animale », la plupart du temps transgénique (OGM) se retrouve donc indirectement dans les produits laitiers, les œufs et la viande que les Français consomment chaque jour, tout en contribuant à dévaster la forêt amazonienne, une information capitale – si je puis dire –, mais qui ne sera pas pour autant portée à la connaissance des spectateurs de M6.
Inversement, les aliments à base de soja destinés à l’alimentation humaine, notamment ceux consommés en France, sont produits à partir de soja cultivé localement, souvent selon les méthodes de l’Agricultrice biologique, donc sans recourir aux OGM, interdits en Bio.
Il faut savoir également que les protéines de soja destinées à l’alimentation humaine ne représentent que 3% de la production mondiales, ce qui donne au passage un aperçu du rapport de force entre ces deux filières du soja (alimentation animale vs alimentation humaine), aux intérêts antagonistes.
Cette distinction est le point clé de la problématique du soja, mais il ne sera jamais porté à la connaissance des spectateurs M6, de même que ce rapport de force disproportionné entre les transformateurs de soja « alimentation humaine » et l’industrie laitière.

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Le soja est accusé de renfermer des «phyto-œstrogènes », mais les journalistes ne disent pas que le lait renferme des vraies hormones !
M6 indique que les aliments à base de soja contiennent des « phyto-œstrogènes » (isoflavones), décrits pour l’occasion comme une « sorte d’hormone féminine ». En réalité, les isoflavones agissent comme des modulateurs hormonaux, d’où la désignation de « phyto-SERM », qui tend d’ailleurs à s’imposer au sein de la communauté scientifique, au détriment de « phyto-œstrogènes », un terme qui renvoie à une très faible activité œstrogénique, qui ne s’observe de surcroît qu’in vitro.
Inversement, dans l’organisme (« in vivo »), les isoflavones réduisent notre l’exposition œstrogénique globale, notamment celle de nos propres œstrogènes (« œstrogènes endogènes »), ce qui atténue notamment les effets indésirables de nos propres œstrogènes, leurs effets prolifératifs en particulier.
Mais jamais M6 n’indique que les produits laitiers contiennent naturellement de véritables œstrogènes, dont de l’œstradiol, et de nombreuses autres hormones (leptine, ocytocine, IGF-1, etc.). La cécité de M6 est d’autant plus étonnante que les produits laitiers allégés (en graisses, mais pas en hormones !), constituent l’essentiel des ventes des aliments « santé », avec Danacol en tête.
À ce sujet, une anecdote à mon avis très révélatrice. Les amis de l’industrie laitière contestent les effets hypocholestérolémiants du soja. Or, les produits hypocholestérolémiants type Danacol doivent leurs propriétés à des stérols végétaux, le plus souvent extraits de soja.

La position des amis de l’industrie laitière à propos des stérols végétaux pourrait se résumer ainsi : « inefficaces dans le soja, mais prodigieux une fois ajoutés aux produits laitiers ».

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Références :

  • Hwang YW, Kim SY, Jee SH, Kim YN, Nam CM. Soy food consumption and risk of prostate cancer: a meta-analysis of observational studies. Nutr Cancer. 2009;61(5):598-606.
  • Qin LQ, Xu JY, Wang PY, Kaneko T, Hoshi K, Sato A. Milk consumption is a risk factor for prostate cancer: meta-analysis of case-control studies. Nutr Cancer. 2004;48(1):22-7.
  • Namiki M, Akaza H, Lee SE, Song JM, Umbas R, Zhou L, Lee BC, Cheng C, Chung MK, Fukagai T, Hinotsu S, Horie S. Prostate Cancer Working Group report. Jpn J Clin Oncol. 2010 Sep;40 Suppl 1:i70-75.
  • Wolff MS, Teitelbaum SL, Pinney SM, Windham G, Liao L, Biro F, Kushi LH, Erdmann C, Hiatt RA, Rybak ME, Calafat AM; Breast Cancer and Environment Research Centers. Investigation of relationships between urinary biomarkers of phytoestrogens, phthalates, and phenols and pubertal stages in girls. Environ Health Perspect. 2010 Jul;118(7):1039-46.